À cinquante ans passés, Marcelo D2 est l’un des pionniers du rap à Rio. L’homme, dont la carrière a pris une dimension internationale, n’en a pas fini de fouiller la richesse du patrimoine brésilien. Son dernier disque, Samba Drive, qui puise aux trios bossa jazz des années 60, en est le témoin.
Photographie © Wilmore Oliveira
Marcelo D2 (prononcez D dois), l’un des pseudonymes les plus connus du hip-hop brésilien se nomme à l’état civil Marcelo Maldonado Gomes Peixoto. Il est né le 5 novembre 1967, année musicalement féconde au Brésil, avec l’essor de la musique populaire brésilienne moderne (Caetano Veloso, João Bosco, Chico Buarque, Gal Costa, Gilberto Gil…). 1967 c’est aussi l’un des titres du premier album de D2, Eu Tiro É Onda, sorti en 1998 et mixé à New York et Los Angeles par Carlos Bess et Mário Caldato Jr. Cet album lui a ouvert les portes de l’international et octroyé la reconnaissance du public. Vingt ans plus tard, nous rencontrons le rappeur quinquagénaire lors d’une date parisienne au New Morning, où il a convié l’inénarrable saxophoniste haïtien Jowee « Bash » Omicil. D2 s’exprime dans un anglais un peu hésitant. Son larynx a été mis à rude épreuve par une tournée européenne, rendant sa voix un peu plus rauque que d’habitude. Il se l’éclaircit d’ailleurs avec du porto, souvenir d’un concert donné au Portugal. Saúde ! (Santé !)
« Ça fait 24 ans que je fais du rap », dit-il avec une moue un peu lasse, en voyant défiler le compteur : « J’ai changé par rapport à mes débuts. Je suis beaucoup plus mûr. Mais vous savez quoi ? Je suis toujours à la recherche du beat parfait ! (1) Je pense que ce processus est plus important que de trouver le beat en lui-même. Je suis toujours inlassablement en recherche. »
Du punk au rap
Né dans une favela Marcelo ne fait pas pour autant dans le cliché misérabiliste sur le rap du ghetto : « J’ai grandi dans le quartier de Lapa, qui est un quartier culturel avec sa vie nocturne, un peu comme celui de la République à Paris. C’est marrant parce que quand j’ai commencé la musique, avec Planet Hemp, au début des années 90, personne ne rappait à Rio. Je viens de la seconde génération brésilienne, mais de la première à Rio. La première génération de rappeurs brésiliens — celle de la fin des années 80 — vient de São Paulo. O Rappa, qui s’est formé en 1993 est un groupe de ma génération qui fait partie de cette même scène carioca, où j’ai aussi côtoyé des gens comme Chico Science et Nação Zumbi… » (3)
Contrairement aux apparences, le rap n’est pas le premier amour de D2, mais le punk hardcore, avec force pogos et ampli saturés. Son premier groupe Planet Hemp fait du rock destroy : « À cette période j’étais skateur et j’écoutais les Dead Kennedys ! Le premier groupe de rap qui a attiré mon attention c’est Afrika Bambaataa. Ça m’a littéralement scotché. Ça a changé ma vie. Rio était une ville extrêmement violente. J’avais des choses à exprimer à propos de ma ville, de la politique, de ma vie dans la rue. J’ai senti que le rap était la meilleure façon pour le faire. » Marcelo D2 aborde Rio, cette Janus ambivalente qu’il aime tant, sous ces deux facettes : violente dans « Desabafo », sur l’album A Arte do Barulho (2008) et en même temps attachante dans « Rio puro suco » (sur l’album Nada Pode Me Parar).
À la recherche de la samba perdue
En 2003, avec son deuxième album À Procura da Batida Perfeita, qui cartonne nationalement, Marcelo D2 prend un virage samba-rap qui va devenir sa marque de fabrique. À cet égard, le clip « A Maldição do Samba », la malédiction de la samba*, ressemble à une cérémonie de candomblé, la religion afro-brésilienne qui convie les orixás sur terre, et invite les humains à la transe. Le titre est basé sur un sample du standard « Zamba Bem » de Marku Ribas de 1973 : « Quand tu commences à faire de la musique, c’est assez logique d’imiter quelqu’un. Mais j’ai toujours essayé de faire quelque chose d’original. J’ai senti que la samba était la bonne voie à explorer. Grâce à la samba, j’arrive à communiquer directement avec les miens. C’est fusionnel. Le monde peut aussi reconnaître ce que je fais et ce qui m’influence. » Grand digger (chercheur de disques) devant l’éternel, D2 a samplé moult classiques signés par Tom Jobim, Marku Ribas, Copa 7, Luiz Bonfá, Milton Nascimento, Ivan Lins ou encore Raul Seixas : « Dans le rap classique il y a la grosse caisse, la caisse claire et une cymbale funk. J’ai changé cette cymbale contre une cymbale samba qui fait « tchica tchica ». C’est la première étape. Quand je chinais des vieux disques je m’intéressais toujours aux faces b, cette musique que les gens n’écoutent plus. » Dans cette démarche de retour aux sources, Marcelo D2 a partagé la scène ou enregistré avec les grands noms de la musique carioca : le pianiste de jazz João Donato, lors d’un concert d’anthologie sur Acústico MTV en 2008, Sergio Mendes sur son disque de 2006 Timeless ou encore Seu Jorge, son ami de longue date, avec lequel il est en duo sur « Pode Acreditar ».
Des États-Unis à l’Afrique
D2, qui a fait plusieurs voyages aux États-Unis, a été marqué par les sons de la Native Tongue : A Tribe Called Quest, De La Soul et les Jungle Brothers. Il s’est créé de solides connexions aux États-Unis, notamment avec will.i.am qu’on retrouve sur son titre de 2003 « Sangue bom » : « Ce gars adore la musique brésilienne, et il a saisi l’opportunité de sentir son parfum avec moi » résume Marcelo D2. « La première fois qu’on a travaillé ensemble, c’était à Los Angeles, bien avant la sortie d’Elephunk, qui a fait connaître son groupe les Black Eyed Peas. Will.i.am est un génie, un mec déjanté. Il me charriait en me disant : « ‘ma voiture ne marche pas, il faut la pousser ! ’ » En 2013 Marcelo D2 a invité un autre ami de Los Angeles, Aloe Blacc, à chanter sur « Danger Zone« , un morceau de l’album Nada Pode Me Parar : « Quand je pense à un chanteur, Aloe Blacc est le premier nom qui me vient en tête. C’est aussi un grand rappeur. » Sur « Feeling Good » on entend aussi Joya Bravo, une rappeuse afro-américaine du Queens à New York. Inutile d’expliquer à D2 le concept de sono mondiale.
Le rappeur a aussi su tisser un lien avec l’Afrique, continent qui a beaucoup offert à la samba, si chère aux Cariocas. En 2013 le MC s’est produit à Luanda en Angola et y a réalisé le clip de « Você Diz Que O Amor Não Dói » : « J’ai rencontré des rappeurs locaux. Ça m’a saisi parce que c’est à la fois très beau et très pauvre, comme le Brésil il y a 50 ans. » L’année suivante, il a fait un featuring NYG sur le titre « All Around the World » du New Yorko-Ghanéen Blitz the Ambassador, dans l’album Afropolitan Dreams : « J’espère explorer davantage cette direction et travailler avec d’autres artistes africains. » À suivre !
Sur un de ses titres les plus réussis « Eu Tenho o Poder« , qui signifie littéralement « j’ai le pouvoir », Marcelo D2 aborde le sujet sensible du pouvoir politique. Ce morceau résonne dans un pays déchiré, surtout depuis l’arrivée aux manettes le 31 août 2016 du très droitier Michel Temer, qualifiée par la gauche brésilienne de golpe, de coup d’État constitutionnel. À la fin de son clip, on voit des images d’une manifestation altermondialiste et anticapitaliste : “Je fais du rap dans la tradition de rappeurs engagés comme Chuck D, KRS-One. J’écris sur les problèmes politiques. On doit changer les choses. Il y a beaucoup de corruption et les gens souffrent.”
Aux racines de la musique brésilienne
Marcelo D2, qui collabore aussi volontiers avec la jeune génération de rappeurs brésiliens, comme Akira Presidente sur le titre « Faz« , estime que le hip-hop actuel est en bonne voie : « Le rap traverse peut-être son plus gros moment. Je voyage dans le monde entier, de Moscou à Luanda… Ça bouge un peu partout ! » Pour la suite, le rappeur carioca prépare son dixième album, pour lequel il a obtenu les participations de Gilberto Gil et Marisa Monte : « C’est un album visuel, très important et spécial pour moi car il est quasiment autobiographique. J’y travaille ! » Par ailleurs, il aimerait selon ses propres termes « plonger au plus profond de la musique brésilienne. Ne plus me contenter de sampler des disques, mais aller directement aux racines en rappant avec des tambours, le macumba et l’atabaque [instrument d’origine africaine, équivalent du bata des Yorubas, utilisé au Brésil, particulièrement dans le Nordeste, pour le candomblé et la capoeira, NDLR), plus un beat et des cuivres ». On attend que cela. Chega Marcelo ! (Viens Marcelo !)
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Découvrez d’autres portraits de rappeurs brésiliens : Criolo, l’enfant conscient de la Zona Sul et Karol Conka, l’électron libre de Curitiba.
(1) Allusion à son titre À Procura da Batida Perfeita (2003), inspiré par le classique hip-hop américain « Looking For the Perfect Beat » d’Afrika Bambaataa and the Soulsonic Force (1983)
(2) Formé à Recife dans le Pernambuco, le groupe s’est fait connaître à Rio. Il mélange rock et maracatu. Le maracatu est un rituel issu de l’esclavage pratiqué dans le Nordeste, en hommage au roi du Kongo.
*Bien que pour les Brésiliens, samba soit un mot masculin, nous utilisons ici l’usage français La samba.